Par arrêt du 2 mai 2024 (4A_387/2023, 4A_429/2023), le Tribunal fédéral suisse a non seulement confirmé que le mandat des membres du conseil d’administration prend fin en l’absence de réélection dans les six mois qui suivent la clôture de l’exercice (art. 699 al. 2 CO), mais notre Haute Cour a encore considéré que les décisions prises par une assemblée des actionnaires convoquée par des membres du conseil d’administration après l’expiration de leur mandat étaient nulles et non avenues.

Cette jurisprudence récente implique qu’il est primordial que l’assemblée générale réélise les membres du conseil d’administration en temps utile, suite à l’expiration de leur mandat, afin d’éviter les carences dans l’organisation de la société au sens de l’art. 731b CO.  En effet, le Tribunal fédéral a confirmé qu’un administrateur de fait – en l’occurrence un administrateur continuant à agir au nom de la société sans être réélu dans le délai de six mois suivant la clôture de l’exercice – n’est pas habilité à convoquer une assemblée générale des actionnaires.

Par conséquent, le Tribunal fédéral est parvenu à la conclusion que toutes les décisions prises par les assemblées d’actionnaires convoquées par de tels administrateurs de fait sont nulles et non avenues, à tout le moins lorsqu’un actionnaire s’oppose à la tenue de l’assemblée des actionnaires. Il en va de même des décisions pries par un conseil d’administration défaillant.

Enfin, le Tribunal fédéral a également précisé que le même raisonnement juridique ne s’applique pas à la réélection de l’organe de révision de la société. Selon l’art. 730a al. 1 CO, le mandat du réviseur prend fin avec l’adoption des comptes annuels. En d’autres termes, les réviseurs restent en fonction jusqu’à ce que l’assemblée générale décide d’approuver les comptes annuels, quel que soit le temps écoulé.

Conséquences de la nouvelle jurisprudence du Tribunal fédéral

En 2021 déjà, le Tribunal fédéral avait décidé que les administrateurs ne restent pas en fonction au-delà du délai de six mois prévu par l’art. 699 al. 2 CO s’ils ne sont pas réélus dans les délais : c’est-à-dire que si l’administrateur a été élu pour une année et que l’exercice de la société s’arrête au 31 décembre 2024, son mandat prend fin au 30 juin de l’année suivante.

Le Tribunal fédéral vient de franchir une étape supplémentaire : notre Haute Cour considère que toutes les décisions et actions prises après le 30 juin par le conseil d’administration pour convoquer et tenir une assemblée générale pour se faire réélire sont nulles, faute d’avoir été réélu à l’échéance de son mandat. Le conseil d’administration qui n’aurait pas été réélu en temps utile est déchu du droit de remédier lui-même à la carence dans l’organisation de la société au sens de l’art. 731b CO.

Il existe donc un risque majeur de blocage, susceptible de mettre en péril la survie de la société si cette dernière ne prend pas à temps les mesures organisationnelles et fonctionnelles qui s’imposent au regard de la jurisprudence récente du Tribunal fédéral.

Recommandations et mesures à prendre

Lorsque les délais pour réélire le conseil d’administration ne sont pas respectés, il y a lieu de recommander le plan d’actions suivants :

Planification précoce et suivi des mandats

Pour garantir le strict respect du délai légal de six mois, les préparatifs en vue de l’assemblée générale ordinaire doivent commencer tôt et tenir compte d’éventuels retards, par exemple en ce qui concerne la finalisation des comptes annuels et la préparation du rapport de l’organe de révision.

Le conseil d’administration doit savoir quand se termine le mandat de chaque administrateur et prendre les mesures en conséquence, en particulier en convoquant et en tenant une assemblée générales ordinaire des actionnaires au moins une fois par année dans les six mois suivant la clôture de l’exercice précédent. Il s’agit d’un devoir de base du conseil d’administration qui relève de la gouvernance d’entreprise, mais qui est trop souvent négligé en pratique dans les PME.

Modification des statuts concernant l’allongement de la durée du mandat des administrateurs

Il est également judicieux pour les PME de mettre en place des mandats pluriannuels. Les sociétés dont les actions ne sont pas cotées en bourse peuvent décider de mettre en place des mandats allant jusqu’à six ans (la règle légale par défaut étant de trois ans).

Séparation des réélections

S’il apparaît que l’assemblée générale ordinaire ne peut se tenir dans le délai de six mois, le conseil d’administration doit envisager de convoquer une assemblée générale extraordinaire afin de réélire le conseil d’administration en temps utile.

Assemblée universelle

Si le délai de six mois n’a pas été respecté, la réélection du conseil d’administration lors d’une assemblée générale réunissant tous les actionnaires de la société au sens de l’art. 701 CO permet de remédier à la carence dans l’organisation de la société en réélisant les administrateurs. En pratique, cette solution ne convient qu’aux sociétés ayant un actionnaire unique ou un cercle restreint d’actionnaires qui s’entendent entre eux. En effet, une telle assemblée universelle, qui requiert la présence de l’ensemble des actionnaires, peut être tenue sans respecter les règles applicables en matière de convocation des assemblées générales et ne dépend donc pas d’un conseil d’administration fonctionnel et dûment autorisé à convoquer l’assemblée générale.

Intervention de l’organe de révision

Si nécessaire, l’organe de révision de la société peut convoquer une assemblée générale (art. 699 al. 1 CO). Si une assemblée générale universelle n’est pas possible, l’organe de révision – pour autant qu’il en existe un dûment nommé par les actionnaires – peut convoquer l’assemblée générale pour réélire le conseil d’administration.

Saisie du tribunal

En dernier recours, les actionnaires peuvent s’adresser au tribunal compétent pour demander que des mesures appropriées soient prises pour remédier à la carence dans l’organisation de la société. Il s’agit de l’option la moins souhaitable en termes de temps et de coûts.

Diligence raisonnable dans les fusions-acquisitions

Dans la perspective d’opérations de fusions-acquisitions, en particulier lorsque l’actionnariat est fragmenté, il convient d’accorder une attention particulière à la question de savoir si les réélections des administrateurs ont eu lieu en temps utile. Étant donné la portée de la nouvelle jurisprudence du Tribunal fédéral, un potentiel acquéreur voudra s’assurer que le conseil d’administration est légitime et que toutes les décisions et actions qu’il a prises sont valables.

Par conséquent, le potentiel acquéreur prudent exigera la conduite d’un processus de Due Diligence sur ces points, ainsi que l’introduction dans le contrat de vente et d’achat des déclarations et des garanties couvrant la question de la validité de la composition du conseil d’administration et des décisions prises par ce dernier. L’éventuelle violation de ces déclarations et garanties devra être sanctionnée par des indemnités propres à réparer le préjudice subi par l’acquéreur ou la société visée.

Sensibilisation accrue aux risques

Les membres du conseil d’administration doivent être conscients du fait que toute décision ou action prise au nom de la société peut être considéré comme nul et non avenu si elle survient après l’expiration du délai de six mois mettant automatiquement fin au mandat des administrateurs concernés. Cela augmente considérablement le risque de responsabilité personnelle des administrateurs.